Morphine VS Kétamine en traumatologie : l'étude PACKMaN 2025
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La prise en charge efficace de la douleur aiguë est un enjeu crucial en situation d'urgence préhospitalière, notamment chez les patients traumatisés. Une étude récente publiée dans The Lancet Regional Health - Europe fournit enfin des données solides pour guider notre pratique clinique dans le choix entre deux principales options pharmacologiques : la morphine , qui a toujours été la référence en analgésie préhospitalière, et la kétamine , une alternative émergente aux caractéristiques pharmacologiques potentiellement avantageuses.

L'étude PACKMaN (Paramedic analgesia comparing ketamine and morphine in trauma) représente une étape importante dans la recherche sur l'analgésie préhospitalière, étant le premier essai randomisé en double aveugle comparant directement ces deux médicaments dans la gestion de la douleur traumatique sévère lorsqu'ils sont administrés par des ambulanciers paramédicaux ALS (Advanced Life Support).
Le studio PACKMaN : conception et méthodologie

L'étude, menée au Royaume-Uni, a porté sur 449 patients souffrant de douleurs aiguës sévères (≥ 7/10 sur l'échelle NRS) suite à un traumatisme, randomisés pour recevoir de la kétamine (n = 219) ou de la morphine (n = 230). Les médicaments ont été administrés par voie intraveineuse par des ambulanciers, la dose maximale disponible étant de 30 mg pour la kétamine et de 20 mg pour la morphine.
Principales caractéristiques de l’essai :
Étude randomisée, en double aveugle, contrôlée par supériorité
Résultat principal : Somme des différences d'intensité de la douleur (SPID) à l'arrivée à l'hôpital
Dose moyenne administrée : 18,8 mg de kétamine contre 12,8 mg de morphine
Dose moyenne par kg : 0,24 mg/kg de kétamine contre 0,17 mg/kg de morphine
Principaux résultats : efficacité analgésique
Le résultat le plus surprenant était que la kétamine n'était pas supérieure à la morphine dans le critère principal. Le SPID était de 3,5 (écart-type 2,8) pour la kétamine et de 3,4 (écart-type 3,0) pour la morphine, avec une différence moyenne ajustée de 0,1 (IC à 95 % -0,4 à 0,6, p = 0,74).
Cependant, des différences intéressantes apparaissent dans les résultats secondaires :
Les patients traités à la kétamine étaient plus susceptibles d’obtenir une « amélioration très significative » de la douleur (> 56 % de réduction).
La kétamine a montré un début d’action plus rapide mais une durée d’effet plus courte
Il n’y avait pas de différence significative dans la proportion de patients avec un score final de douleur < 4/10 (41 % kétamine contre 38 % morphine)
Profil de sécurité : différences significatives
Les événements indésirables graves étaient rares dans les deux groupes (2 % de kétamine contre 3 % de morphine), mais le profil des effets secondaires a montré des différences cliniquement significatives :
Groupe morphine : incidence plus élevée de désaturation (16 % vs 7 %, OU 0,4) et d'hypotension (10 % vs 3 %, OU 0,2)
Groupe kétamine : incidence plus élevée de réactions comportementales indésirables (10 % contre 1 %, soit 8,6)
Cette différence de profil de sécurité soulève une question importante : dans le contexte d’un traumatisme, où l’instabilité hémodynamique et respiratoire représente un risque concret, la kétamine pourrait offrir un avantage significatif malgré l’équivalence analgésique.

Quels changements dans la prise en charge de la douleur traumatique ?
De la lecture de l’étude et des considérations des auteurs, plusieurs points clés ressortent pour notre pratique clinique :
Sécurité de la kétamine dans les mains non anesthésiques : une étude montre que les ambulanciers peuvent utiliser la kétamine en toute sécurité à des doses subdissociatives, sans nécessiter de surveillance avancée comme l'EtCO2. Cela pourrait ouvrir la voie à l'intégration de la kétamine dans les protocoles standard des ambulanciers et des infirmiers.
L'analgésie reste sous-optimale : un constat inquiétant est qu'environ deux tiers des patients se présentent encore aux urgences avec une douleur modérée ou intense, quel que soit le médicament utilisé. Cela suggère qu'il existe encore une marge d'amélioration considérable dans la prise en charge préhospitalière de la douleur.
Sélection des médicaments en fonction du profil clinique : Les auteurs suggèrent que la désaturation et l’hypotension présentent un risque clinique plus élevé que la dissociation en cas de traumatisme. Ceci pourrait conduire à une préférence pour la kétamine chez les patients présentant un risque d’instabilité hémodynamique ou respiratoire.
Implications opérationnelles : Si la morphine est aussi efficace que la kétamine, les équipes préhospitalières pourraient continuer à l'administrer et procéder à l'hôpital, plutôt que d'attendre sur place une équipe de soutien avancé lorsque l'objectif est purement analgésique (et non sédatif).
Rôle spécifique aux urgences : La kétamine peut avoir un rôle privilégié dans des sous-groupes spécifiques de patients aux urgences, notamment ceux présentant des vomissements, une hypotension ou une hypoxie.
Limites de l'étude et considérations
Quelques limites à prendre en compte lors de l’interprétation des résultats :
L’étude n’a porté que sur des patients capables de donner leur consentement verbal, excluant potentiellement les cas les plus graves.
Aucun intervalle fixe n’a été spécifié pour mesurer la douleur, ce qui rend difficile le suivi des tendances au fil du temps.
Aucune donnée n'a été recueillie sur l'utilisation de traitements non pharmacologiques (tels que les attelles).
Biais de sélection potentiel : dans le groupe morphine, il y avait plus de blessures aux membres supérieurs, potentiellement plus faciles à immobiliser
La comparaison manquante : kétamine et fentanyl
Bien que l'étude PACKMaN fournisse des données solides sur la comparaison kétamine-morphine, il convient de noter que le fentanyl , désormais considéré par beaucoup comme l'opioïde de référence pour l'analgésie post-traumatique, n'a pas été inclus dans la comparaison. Il s'agit d'une limitation importante compte tenu de l'évolution des pratiques cliniques.
L'étude PAIN-K (Prehospital Analgesia INvestigation-Ketamine), publiée en 2023 dans la revue Annals of Emergency Medicine, a partiellement comblé cette lacune en comparant la kétamine et le fentanyl chez 210 patients en milieu préhospitalier. Les résultats ont montré une efficacité analgésique similaire entre les deux médicaments, mais avec des profils d'effets secondaires différents : la kétamine a montré davantage d'effets psychologiques/dissociatifs, tandis que le fentanyl a présenté un risque accru de dépression respiratoire, avec toutefois un délai d'action plus rapide et un risque d'hypotension plus faible que la morphine.
Il aurait été extrêmement intéressant d' inclure le fentanyl dans la comparaison de l'étude PACKMaN , avec la même méthodologie rigoureuse et un échantillon plus large, afin de dresser un tableau plus complet des options analgésiques disponibles en urgence préhospitalière. Cette comparaison tripartite aurait pu mieux orienter les choix cliniques à la lumière des pratiques actuelles.
Analgésie multimodale : la synergie entre la kétamine et les opioïdes
L'étude PACKMaN a mis en évidence une stratégie prometteuse pour répondre au problème de l'analgésie sous-optimale : l'approche multimodale, qui consiste à combiner des médicaments aux mécanismes d'action différents. L'association de kétamine et d'opioïdes apparaît notamment comme une option intéressante en pratique clinique.
Dans le Val d'Aoste, par exemple, nous utilisons couramment une approche consistant à administrer une dose initiale de kétamine à laquelle est ensuite ajouté un opiacé (ou inversement). Cette pratique est corroborée par plusieurs études récentes :
L'étude KOPED (Ketamine-Opioid Pain in the ED, 2022) a démontré que l'ajout de kétamine à faible dose (0,15-0,3 mg/kg) au traitement aux opioïdes produisait une plus grande réduction de la douleur que l'opioïde seul, avec une réduction de 25 % de la consommation totale d'opioïdes et une incidence plus faible d'événements indésirables respiratoires.
Mohammadshahi et al. (2023) ont souligné que la combinaison kétamine-morphine produit une analgésie plus rapide et plus prolongée que la morphine seule, nécessitant des doses plus faibles de l'opioïde.
La revue systématique de Brinck et al. (2021) a conclu que l’approche combinée offre un effet « d’épargne d’opioïdes » de 30 à 50 %, maintenant ou même améliorant l’efficacité analgésique globale.
Les avantages de l’approche multimodale comprennent :
Exploitation de mécanismes d'action complémentaires (antagonisme NMDA et activation des récepteurs opioïdes)
Réduction de la dose totale d'opioïdes, avec réduction potentielle des effets secondaires dose-dépendants
Début plus rapide de l'analgésie
Amélioration potentielle de l'efficacité analgésique globale
Cette approche pourrait constituer une solution prometteuse pour résoudre le problème mis en évidence par l'étude PACKMaN, où plus de 60 % des patients se présentaient aux urgences avec des douleurs importantes malgré l'analgésie. Un essai clinique randomisé comparant spécifiquement l'approche multimodale à la monothérapie en milieu préhospitalier serait souhaitable.
D’autres stratégies visant à améliorer l’efficacité analgésique globale pourraient inclure des protocoles de titration plus agressifs ou l’intégration systématique d’approches non pharmacologiques.
Bibliographie
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